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Histoire de la vie d’Emily Keene la Chérifa d’Ouazzane

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Histoire de la vie d’Emily Keene la Chérifa d’Ouazzane Empty Histoire de la vie d’Emily Keene la Chérifa d’Ouazzane

مُساهمة من طرف jaziri الثلاثاء 15 مارس 2011 - 11:40

Histoire de la vie d’Emily Keene la Chérifa d’Ouazzane 900988emily

Une jeune anglaise de vingt-quatre ans prend son envol de la haute
cime du prestigieux Big Ben, ses ailes guidées par maître destin, elle
traverse ensuite le Pont de la Tour, quitte enfin, sans regret, son île
magique perchée sur le mât d’un bateau de rêves pour des vacances de
miel. Quelques jours après, en robe de satin rouge et blanc, la fée,
tout sourires allumés, débarque sur un autre continent, découvre un
autre monde. Lorsque, tel un papillon, elle atterrit sur cette fleur,
sur ce sol africain dont elle ignorait jusqu’à ce jour l’existence,
elle est loin d’imaginer ce qui l’attend sur cette terre d’Islam, île
flottante sur le lit mouvant brodé de vagues colorées de l’Océan
Atlantique et de la mer Méditerranée, véritable fermeture éclair
enfermant les charmes mythiques d’un monde féerique.
Une odeur inhabituelle lui caresse les narines, une langue ensoleillée
lui lèche le visage pâle, un doux chergui lui effleure les cheveux
blonds, des regards curieux la dévisagent sans retenue, la fraîcheur
des murs blanchis à la chaux, enfin, l’accueille sur le quai, sur le
seuil de l’aventure. C’est à califourchon, bien accrochée aux robustes
épaules des porteurs, qu’elle fit connaissance avec la ville de tous
les dangers. Une ville lui souhaitait ainsi la bienvenue, à sa manière,
répétant inlassablement les mots de bienvenue en toutes les langues,
étalant, rien que pour elle, le long tapis rouge sur lequel ses fines
chaussures dessinèrent déjà des lettres d’amour. Un pacte secret venait
de naître. L’air songeur, elle pensait peut-être déjà au voyage du
retour, aux nombreux souvenirs qu’elle partagerait avec les siens sitôt
rentrée chez elle à Londres, elle devait se dire que ces visages
basanés, que ces murs sales, que ces ruelles étroites où les
«chachillas» se frayaient difficilement un chemin parmi les «cabs» et
où les ânons surchargés disputaient à l’homme son espace de liberté, ne
pouvaient la retenir trop longtemps éloignée de la Tamise, du grand air
de Trafalgar Square, de la source de sa vie, de cette verdure pure, de
sa belle et douce ville natale, de cette liberté tant chantée que ses
parents lui avait apprise à chérir, à lire, à comprendre et à écrire,
sans fautes, sans fausses notes, cette liberté de vivre qu’elle
cherchait à respirer, à savourer dans ce beau pays d’Afrique, dans ce
Maroc insolite de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle.
Tanger souriait à cette jeune fille qui avait osé défier les orages,
les rivages, les visages, tous les nuages d’Angleterre et leurs
présages, afin de plonger dans ce miroir, dans ce terroir, dans ce
noir, dans toute l’histoire d’un empire millénaire.
J’ai rencontré l’ange au terme d’une lecture magique, celle où les
êtres de mots se transforment en êtres de chair, où les images de pages
se parent de leurs atours de mages, où la vie réelle se confond avec
l’irréel, où le temps n’a plus de sens, n’a plus de place. J’ai croisé
cette belle demoiselle anglaise plus d’un siècle plus tard, couverte
d’un voile de soie blanc, des mèches, éclatantes comme des rayons de
lune, lui caressaient le front et un sourire sournois lui éclairait les
lèvres. Elle était debout, toute droite devant ces murs qui dominent le
plateau du Marshan, devant une imposante sépulture blanche qui trône
dans ce charmant petit cimetière de famille, dans ce coin romantique,
balcon luxueux donnant sur la Méditerranée. Fidèle à l‘histoire et,
comme elle le fit inlassablement aux nombreux visiteurs du cimetière et
à ses compagnons de voyage, ses nombreux voisins de palier, elle me
narra ce récit merveilleux d’une «princesse marocaine», cette «sultane
marocaine » qui avait traversé deux siècles au bras d’un «prince de
chair et de chimères» et qui, en partant, a légué aux hommes une part
de leur mémoire, une tranche de souvenirs tartinés au miel.
Je la vois encore, assise sur le sofa rouge pourpre, face à un
secrétaire verni, aux poignets dorées, dans une chambre à moitié
éclairée par une lampe chancelante, giflée par le souffle de l’éternel
chergui, le regard tourné vers les côtes de la péninsule ibérique, sa
longue chevelure blanche nouée autour de la corde d’un violon que des
mains sensuelles caressaient solennellement, laissant échapper entre
leurs doigts magiques des sons tragiques, nostalgiques, une chanson
unique, celle d’une histoire singulière, celle d’une idylle
merveilleuse entre une princesse des brumes et un prince du soleil
couchant. Les touches jaunies d’un vieux piano et l’archet ébouriffé
d’un pieux violon continuaient ainsi, en silence, à jouer une étrange
et voluptueuse mélodie d’amour. Tanger ensorcelle. Tanger, en verve…
Après les Phéniciens, les Carthaginois et les romains, par la grâce
de Tingo et la magie de Circé, par la beauté des sirènes qui ont séduit
les hommes sous les lumières des phares du Cap Spartel et du Cap
Malabata, Tanger, cette ville aux mille et un mythes, est, en cette
deuxième moitié du dix-nevième siècle, la capitale diplomatique d’un
grand Empire. Tous les regards sont tournés vers ce coin, vers ce point
du monde qui attise déjà les appétits des grandes puissances de
l’époque. Tanger, pourrait-on dire, était le point de départ d’une
exaltante aventure, celle d’une entreprise coloniale qui devait
atteindre son apogée vers le début du vingtième siècle. Français,
Espagnols, Anglais, Allemands étaient particulièrement représentés dans
ce bout d’Afrique, devenu le nez du monde qui flaire les intrigues et
renifle les odeurs nauséabondes des haleines et des sueurs de
diplomates en quête de sensationnels. Sur les hauteurs de la Montagne,
entre les allées de cyprès et d’eucalyptus, une famille d’origine
grecque, donne de « par sa fortune, le faste de sa résidence (Al Minzah
) et ses réceptions, quelque éclat à sa patrie d’adoption, les
Etats-Unis. Ce fut d’ailleurs à l’occasion de ces dîners chez les
Perdicaris qu’un fameux chef de zaouia (confrérie) s’éprit de la
gouvernante anglaise de leurs enfants et décida de l’épouser ». Quel
destin !
Cette jeune fille qui descendit au port de Tanger en cet automne
1872 avec des rêves dans ses bagages, cette petite anglaise d’une «
grande beauté » qui allait épouser le chef de la grande confrérie
d’Ouezzane s’appelait miss Emily Keene. Cette dernière s’installa donc
chez les Perdicaris , comme gouvernante d’enfants , elle ne pensait
certainement pas qu’un jour viendrait où elle allait devoir, à son
tour, engager des gouvernantes pour ses propres enfants, dans un pays
qui n’est pas le sien et au milieu d’un peuple qui n’est pas le sien.
Tanger donnait encore une fois la preuve de son irrésistible séduction,
de son infaillible pouvoir de création d’idylles extraordinaires et de
destins fabuleux. Lady Emily Keene entrait ainsi, de plein pied, dans
l’histoire tourmentée des amours tangéroises, des mythes éternels de la
cité du Détroit.
Emily que j’ai croisée dans les couloirs animés de l’histoire de
Tanger, de la grande histoire du Maroc, a suscité en moi l’envie de
relire l’Histoire de mon pays, elle m’a appris à voyager à travers les
tortueux sentiers d’un passé riche en événements, elle m’a inculqué la
connaissance d’une famille, la redécouverte d’une famille qui est avant
tout une famille marocaine ayant vécue sous un ciel marocain, en une
période de l’histoire marocaine. Emily que j’ai rencontrée dans les
albums en noir et blanc, n’a pas hésité à colorier pour moi les visages
de marbre, les mains de sabres, les hommes en barbes, les belles femmes
sans nom qui se cachent derrière les arbres, derrière les murailles des
harems, derrière les haïks sombres, à l’ombre des litières voilées.
Emily que j’ai croisée, assise sur la selle dorée du cheval de
l’histoire, devait me conter entre deux trots, puis deux galops, toutes
les croyances d’un peuple, me transporter dans les contrées inconnues
d’une mythologie que seuls pouvaient assumer les saints d’une époque.
Emily, enfin, interpella ma sève, bouleversa mon sang, je fus ainsi
placé dans l’obligation de reconnaître les contours de ma mémoire, et
partant d’en dégager le contenu et les profondeurs. C’est ainsi que,
bien malgré moi, je dus assumer le poids du «fardeau de la mémoire» ,
la mienne d’abord, celle des miens aussi, mais surtout celle de tous
les Marocains. Heureux sont les hommes qui ont eu la chance d’arrêter
le Temps, de lui parler en tête à tête, heureux aussi sont ceux qui
osent se lancer dans cette entreprise mémorielle proliférante et
multiforme qui se nourrit de notre traditionnelle activité narcissique
mais aussi de notre investissement sensible.
A travers My Live Story, publié en 1911, Emily nous invite t-elle à
la commémoration d’une époque ou s’agit-il tout simplement, pour elle,
de participer à une entreprise de patrimonialisation d’un bien
collectif des Marocains ? N’a t- elle pas seulement souhaité contribuer
à la production de la mémoire nationale et à l’instauration d’un
nouveau régime de la mémoire fondé sur son propre témoignage, sur son
expérience personnelle, sur son intelligence face aux soubresauts de
l’histoire, sur le principe de la différence et de la diversité de la
communauté nationale ?
En prenant la décision de publier son «autobiographie» n’a t- elle
pas cherché à nous interroger uniquement sur nos rapports avec notre
propre passé, à susciter en nous une réaction par rapport à ce monde
que nous n’avons pas connu, que «nous avons perdu», celui de Moulay
Mohamed ben Moulay Abderrahman, celui de l’Empereur Moulay Hassan Ier,
par rapport aussi à ce «passé qui ne veut pas passer», celui que nous
tentons aujourd’hui d’exorciser tant bien que mal, celui qui a fait
qu’aujourd’hui tous les Marocains se disputent le passé, s’approprient
des pans de mémoire, se découvrent une vocation de chasseur d’histoire,
de critique, de lecteur attentif des temps révolus qu’ils n’hésitent
pas à ressusciter, à autopsier ? Les marocains se réconcilient-ils avec
leur passé ou cherchent-ils, au contraire, à réveiller les vieux démons
qui, comme les martyrs et les héros se reposent sur les pages noircies
des volumineux livres de l’histoire nationale? Il n’y a aucun doute,
nous entretenons de bien étranges rapports avec notre passé. Des
rapports impérieux et inquiets. Notre passé est-il l’expression d’une
continuité ? Est-il l’illustration de douze siècles qui font notre
fierté nationale ? Notre passé participe t-il à l’établissement des
critères de notre identité nationale ? Sommes-nous Marocains par la
bénédiction de l’histoire ou par le hasard de la géographie ? Notre
passé est-il, enfin, le seul garant de notre communauté de destins, de
cette longue histoire partagée que nous remontons à My Driss Ier, que
nous ancrons dans les mailles du filet de l’histoire du monde musulman,
que nous abreuvons de cette eau bénite de Zem-Zem, et que nous
entourons à la fois de la bénédiction d’Allah et de celle de son
auguste Prophète Sidna Mohammed, que la prière et la bénédiction de
Dieu soient sur Lui ? Cette communauté de destin, Emily a cherché à la
cerner, avec intelligence et patience, à la décrire avec lucidité et
doigté en prélevant dans cette masse d’informations recueillies lors de
ses quarante années parmi les maures, tout ce qui, selon elle,
constitueraient les éléments, les aspects descriptifs du Maure, du
Marocain de la seconde moitié du dix-neuvième siècle et qui,
aujourd’hui, nous permettraient d’affirmer ou d’infirmer le principe de
continuité qui détermine l’histoire des peuples et des individus.
Vivons-nous une crise de l’histoire ou de l’écriture de l’histoire ?
Notre peuple a t- il perdu son âme en négligeant la culture de
l’histoire ? Faut-il réhabiliter l’histoire afin de la mettre à la
disposition des peuples ou doit-on la réécrire autrement afin qu’elle
satisfasse leur soif de savoir et de vérité ? Nos jeunes
connaissent-ils suffisamment leur histoire nationale ? Faudrait-il
revoir le contenu de nos programmes, réinventer, réformer nos méthodes
d’enseignement ? L’Histoire serait-elle encore le domaine privilégié et
exclusif des historiens ? Nous aurions pu ainsi continuer à interroger
nos contemporains sur la crise de notre identité historique, sur la
pertinence de la publication d’une traduction d’un ouvrage paru en 1911
et écrit par une anglaise, si nous n’avions nous- même déjà répondu à
plusieurs de ces interrogations, si nous n’avions enfin compris
qu’Emily n’avait pas écrit pour le simple plaisir d’écrire mais qu’elle
l’avait surtout fait pour être lu, pour être entendu. Emily a surtout
écrit pour montrer la voie, pour démontrer que des choses ont été
réalisées et que d’autres devraient l’être que sa vie n’a pas été une
vie de contemplation mais une vie d’action et ce passion. Il a fallu
attendre presque un siècle pour que cette voix trouve son chemin vers
le lecteur marocain. En effet, c’est en l’an 2000 que le quotidien
arabophone du parti de l’Istiqlal « Al Alam » publie le premier
chapitre de My Life Story d’Emily Keene d’après la traduction en arabe
de Abderrahim Hojal. . Les lecteurs Marocains apprécient. L’histoire
passionne. Emily se promène désormais librement dans les rues de la
Liberté enfin dégagées, enfin retrouvées.
Emily Keene est née le 19 Septembre 1849. Son père, John Keene fut
gouverneur de la prison de County Serray. Sa mère, Emma Wharren, était
la descendante du célèbre Archevêque Arhbischop Wharren qui prédiqua le
sermon de la Réformation en 1512. Le portrait de ce dernier est
d’ailleurs toujours exposé à Lambeth Palace à Londres. Celui-ci était
également entré à la cathédrale de Kuntembury. Emily eut une enfance
sans problèmes. Elle manifesta un intérêt précoce pour les enfants,
pour le sort des enfants dans le monde. Arrivée à Tanger, le 17 Avril
1872, elle épousa, quelques mois plus tard, le 17 Janvier 1873, le chef
de la célèbre confrérie d’Ouezzane, le Chérif Sidi Hadj Abdeslam ben
Larbi. Elle portera désormais le titre de «Charifa d’Ouezzane». Ce
mariage souleva les protestations des oulémas de Fès, inquiéta le
Sultan de l’époque, prit de court ses coreligionnaires, bouleversa les
habitudes et les esprits au sein même de la zaouia de Ouezzane, il
annonçait l’avènement d’une période riche en événements, marquée par
des actions politiques, religieuses, économiques, sociales et
culturelles d’une grande utilité pour la connaissance de l’histoire du
Maroc du dix-neuvième siècle . Ce mariage posait déjà, à l’époque ce
que nous appelons les fondements du débat d’idées évoqué de nos jours
sous l’appellation de « dialogue des cultures et des religions », ce
que nous entrevoyons aujourd’hui comme une ouverture vers l’Autre selon
le principe du respect de la différence, de la tolérance entre les
peuples et les races. Ce mariage, l’un des premiers du genre, entre un
chérif marocain et une européenne, apportait déjà la preuve que l’on
peut concilier mariage civil et mariage religieux, un mariage devant un
officier civil et un autre selon les règles de la Charia musulmane et
ce, en concevant un contrat de mariage équilibré où l’on préserverait
les droits de chacun des conjoints et où l’on définirait les devoirs et
les obligations de chacun, sans porter préjudice, ni à la liberté de
culte, ni à la liberté de disposer de soi comme on l’entend, tout en
étant lié par le lien sacré du mariage. Heureuse préfiguration de
l’égalité de l’homme et de la femme telle que définie par le nouveau
Code marocain de la Famille, telle que perçu par les jeunes Marocains
désireux de se prendre en charge, de faire du mariage un lien sacré
certes mais aussi une communauté d’intérêts, un contrat qui préserve le
droit et garantit la justice.
C’est pourquoi, ce mariage avait, en son temps, apporté une
contribution inestimable au progrès, à la redéfinition de la vision du
monde des Anglais et des Marocains, il avait permis d’établir, de
mettre en évidence la solidité des liens entre le Maghzen et la zaouia
d’Ouezzane malgré les intrusions malintentionnées des puissances
européennes et de leurs alliés. Ce mariage enfin, a été l’expression
d’une mixité heureuse qui avait donné naissance à des générations
généreuses, qui ont pu participer à l’édification du Maroc moderne, qui
ont su porter avec fierté l’étendard de l’Islam et qui ont consacré
ainsi l’idéal selon lequel, épouser une étrangère, ne signifiait pas
forcément renier ses origines, mais les irriguer, mais les enrichir
tout en préservant son identité, sa liberté et les fondements de sa
propre tolérance. Une autre façon de dire que Emily Keene, avait certes
épousé un homme, mais un homme pas comme les autres, car à travers son
amour pour ce dernier, elle avait épousé une cause nationale, celle qui
consistait pour le Maroc, à aspirer à davantage de progrès, de
prospérité et de liberté, elle avait épousé la détermination des femmes
maures à sortir de l’ignorance, de l’isolement et de la
marginalisation, elle avait épousé la foi des adeptes de la zaouia
d’Ouezzane, elle avait épousé les principes d’un soufisme serein,
ouvert, adapté aux caractéristiques d’une époque, elle avait aussi
épousé la détresse des enfants malades , des enfants sans hygiène, des
enfants en quête d’instruction. Emily épousera avec autant de réussite
le destin d’une grande famille qui a marqué l’Histoire du Maroc, elle
épousera enfin la plus belle des causes, celle qui consistait pour elle
à gagner un pari personnel, celui de démontrer à tous que l’amour doit
rimer avec sacrifice, patience et courage.
Qui était cette femme exceptionnelle qui fut décorée à la fois
«officier du Ouissam Alaouite» et «officier de la Légion d’Honneur»
pour ses œuvres sociales ? Qui était cette femme qui quitta
l’Angleterre sous le règne de la reine Victoria (1937), qui la visita
sous celui d’Edouard VII (1901) et qui la retrouva sous le règne de
Georges V (1910) ? Qui était cette dame qui, une année après la chute
du second Empire français (1870) débarqua à Tanger et qui depuis ce
jour assista à l’impressionnante valse des chefs d’Etat français :
Présidences de Thiers (1871-1873), de Mac-Mahon (1873), Grévy (1879),
Carnot 1887), Casimir-Périer (1894), Félix Faure (1894), Loubet (1899),
Faillères (1906), Poincaré (1913), Deschanel (1920), Millerand (1920),
Doumergue (1924), Doumer (1931), Lebrun (1932) et Etat français, sous
l’occupation avec le Maréchal Pétain (1940-1945) ? Qui était cette
femme qui considéra l’Empire du Maroc comme sa seconde patrie et qui y
vécut les trois quart de son existence, où elle a coonnu l’empereur
Sidi Mohamed Ben Abderrahman, (1859-1873), My Hassan Ier (1873-1894) et
les sultans My Abdelaziz (1894-1908), My Youssef (1908-1937), My Hafid
(1905-1937) et Mohamed V (1937-1961) ? Qui était cette femme qui aura
vécu une époque des plus fécondes de l’histoire de l’Humanité ?
Emily a assisté aux prodigieux progrès des moyens de transmissions
(télégraphe, téléphone, T.S.F.) et de communication, à la révolution
dans les transports (chemins de fer, automobile et aviation), et dans
l’industrie (électricité et houille blanche), dans la vie économique
(création des grandes banques), elle a vu naître le communisme, le
socialisme, elle était au fait de l’organisation des premières
expositions universelles, de l’éveil des consciences nationales, des
rivalités économiques et coloniales, elle eut vent des horreurs de la
première guerre mondiale et des violences inouïes du début de la
seconde, elle reçut la nouvelle de la formation des empires coloniaux,
du percement du Canal de Suez et de Panama, elle salua l’intense
activité des missionnaires, la suppression de l’esclavage aux
Etats-Unis, Emily a vécu l’une des époques connues pour avoir favorisé
le rayonnement des arts et des lettres, elle a certainement été
émerveillée par la diversité des écoles littéraires, les parnassiens,
les réalistes, les symbolistes, etc. Elle a dû applaudir les prouesses
des hommes de sciences, Ampère , Arago , Le Verrier , Pasteur ,
Berthelot et Curie , elle a connu la fièvre politique et sociale de
cette fin de siècle, (le régime parlementaire, le suffrage universelle,
le régime syndicaliste), l’élévation du niveau intellectuel
(instruction obligatoire) et du niveau d’instruction.
C’est dans ce contexte exceptionnel qu’Emily entre dans l’Histoire
du Maroc, dans celle de la zaouia d’Ouezzane et de la mythique ville de
Tanger. Evoquer ce contexte particulier nous permet de cerner la
dimension d’une femme, de délimiter les contours d’une mémoire
nationale et familiale exceptionnelle, de dégager les moyens
susceptibles de favoriser une meilleure approche du livre de Emily
Keene et de faciliter la lecture de faits et d’événements qui datent de
plus d’un siècle.
Cunningham Graham, le préfacier de son livre, la présente comme suit
: « On ne peut, écrit-il, connaître la Charifa d’Ouezzane sans rester
profondément impressionné par sa personnalité. Ceux qui l’ont connu tôt
et compris les circonstances dans lesquelles elle a agi et pris des
attitudes plutôt extrêmes au début de son mariage, ont éprouvé une
profonde admiration pour son tact ». Les membres de sa famille ou ses
amis qui l’ont côtoyée de son vivant gardent d’elle le souvenir d’une «
femme exceptionnelle », dotée de «qualités exceptionnelles». Ce sont
certainement ces qualités qui lui permettront de transmettre par
l’écriture cette tranche d’histoire qui est entre nos mains: My Life
Story, histoire de ma vie. Nous avons déjà eu l’occasion de présenter
ce livre lors de colloques scientifiques, de conférences destinées à un
public plus large ou dans des articles ou études parus dans diverses
revues d’études littéraires . Nous avons aussi dit que My Life Sory
était avant tout l’Histoire d’une tranche de vie, celle d’une aventure
palpitante vécue par une femme passionnée. Nous l’avons expliqué par le
fait que nous ne connaissions en réalité de la vie d’Emily que ce
qu’elle a bien voulu nous rapporter, ce qu’elle a décrit dans son
livre, autrement dit la période qui s’étale de son mariage en 1873 à
1911, date de la publication de son livre. Nous ignorons pratiquement
tout de ce qu’a été sa vie durant les vingt quatre premières années de
son existence, ainsi que ce qu’elle est devenue tout au long des trente
dernières. Emily, rappelons-le, aura vécu sans interruption au Maroc
presque soixante-dix années .
« Si tous ses amis lui connaissent tant d’amabilité, peu savent, par
contre, qu’elle eut la force d’esprit d’avoir produit un livre aussi
impressionnant. » Ce livre- document, il faut le préciser, tout en nous
permettant de revisiter l’histoire, tout en rappelant à notre souvenir
des noms de lieux et de personnes, tout en produisant une partie de
notre mémoire collective, a le mérite de semer en nous la confusion
quant à la définition du genre auquel il appartient. Mémoire,
biographie, autobiographie, récit de vie, récit anthropologique ou
historique, journal, compte-rendu… Notre propos n’est nullement de
susciter une polémique des genres, mais de faire partager notre plaisir
de lire à ceux qui souhaitent, et Dieu sait combien ils sont nombreux,
relire le passé, non pas à travers l’histoire officielle, autrement dit
l’Histoire des historiens de métiers, les professionnels de l’Histoire,
mais à travers le regard des communs des mortels, ceux qui, du haut de
leur fenêtre ou du milieu d’une foule anonyme, vivent à leur corps
défendant un moment d’Histoire, en font une sorte de fixation et un
beau jour, dans une entreprise d’exorcisation, en formules d’aveu ou de
confession, en mots chargés d’émotion, en larmes de joies ou de
tristesse, décident de le raconter ainsi, avec spontanéité et vérité.
Malheureusement, de tous ceux qui ont souhaité écrire un livre, rare
sont ceux qui ont pu réellement le faire. Emily l’a fait et c’est tant
mieux. « Bien entendu sa production ne fait pas de son auteur forcément
un écrivain au sens strict du terme. Deux qualités sont indispensables
pour celui qui, comme disent les Français, veut enfanter un livre :
l’humour et la simplicité de cœur . La Charifa de Ouezzane possède
immanquablement ces deux atouts, doublés d’un pouvoir d’observation
hors du commun. » Emily Keen, ne cessera de répéter, tout au long de
son texte, qu’elle n’a jamais eu la prétention de se présenter comme
écrivain et que si elle a écrit c’est tout simplement pour répondre au
vœux de ses nombreux amis, « je ne revendique pas de mérite littéraire,
j’ai écrit ces aventures de ma double vie suite à une requête
particulière» affirme t-elle dans les toutes dernières lignes de son
livre. Cette modestie, elle l’a cultivera jusqu’au bout de son
entreprise, en investissant son cœur et l’amour qu’elle voue pour son
mari et ce merveilleux peuple qui l’a adoptée. Elle «écrit comme elle
parle, tout naturellement et sans se préoccuper le moins du monde
d’échafauder une quelconque théorie sur les gens avec lesquels elle a
passé les meilleurs années de sa vie. Extraordinaire lorsqu’elle écrit,
elle ne s’érige pas en patronnesse du Créateur des Maures ni
d’elle-même. Elle ne semble pas non plus qu’elle fût envoyée dans ce
monde pour pallier les imperfections du destin. Elle écrit sur les
maures en les considérant comme ses propres compatriotes, avec la même
nature, essence et tempérament qu’elle-même. » Point de tournures de
style tortueuses, ni de mots recherchés, ni de structures
labyrinthiques, point de fioritures grotesques, ni de garnitures
caricaturales. Emily écrit tout simplement sa vie avec un homme d’une
lignée aristocratique et sacrée. D’où la mise en évidence des aspects
essentiels de la vie mauresque, l’intimité d’une femme mariée,
l’intimité de toutes les femmes de la zaouia, l’intimité de toutes les
femmes maures à une époque où le féminisme mondial était encore à ses
premiers balbutiements, et même en Angleterre. Emily ne s’est
intéressée à notre sens qu’à cette intimité définie et délimitée par le
cercle de la vie quotidienne dont le centre de gravité était le Grand
Chérif d’Ouezzane, Sidi Hadj Abdeslam. C’est cela qui comptait le plus
parce que c’était cet aspect là que les européens ignoraient, car
c’était cette épopée, avec son génie, grandeur et effets littéraires
qui faisait justement de cet aspect partiel et précis de la vie des
musulmans un thème littéraire d’une grande importance qui pouvait
répondre à la fois à la curiosité des européens peu ou pas au courant
des réalités de la vie des maures, satisfaire la curiosité d’une jeune
anglaise enivrée par tant de prestige et de gloire, passionnée par tant
de découvertes, impressionnée par tant de chaleur humaine. « Jeune
femme timide, la voilà parmi les européens de la place, mais habitant
avec les Maures, ne connaissant que quelques mots de leur langue. Ce
qui nous remplit d’admiration c’est la grande confiance et
l’extraordinaire adaptation dont elle fit preuve à l’égard de ses hôtes
qui, pour cette raison, lui manifestent leur affection. En aucun
moment, dans son livre elle n’a parlé de différences de foi à la maison
; bien au contraire, elle fait montre, comme une bonne épouse, d’un
orgueil particulier né de la grande estime dans laquelle son époux est
placé par ses compatriotes . »
Amour, patience et courage, semblent être les mots-clefs de la
nature émylienne. Par amour, elle brave les dangers et échafaude les
règles nouvelles d’une existence pas comme les autres, patiemment, elle
tissera des rapports étroits avec la famille et les membres de la
«cour» du Chérif, elle nouera des amitiés solides avec le cercle de ses
connaissances, brisera le mur de méfiance avec ses centaines de
milliers d’adeptes, elle se liera d’amitié avec les représentants
étrangers, s’adaptera aux contraintes de vie au sein de la société
maure, avec courage enfin, elle affrontera son destin de femme
étrangère dans un pays étranger, « jeune et sans appuis ni personne à
l’orienter dans ses premières démarches, elle tint seule le gouvernail
avec un admirable courage et évita maints écueils. Sa jeunesse fût
probablement son meilleur allié car elle fût sans préjugés de race ni
d’éducation, montrant beaucoup de charme dans ses manières et cultivant
un intarissable fonds d’entrain et de santé.» Bonheur et humeurs,
heurts et malheurs, images et visages, paysages et présages, divines
apparitions, visions, superstitions, célestes nourritures et tables
édéniques, exploits, liesses, prouesses, révérences, empire, emprise,
ablutions, prières, intrigue et jalousie… Tous les ingrédients qui font
d’un livre, un chef d’œuvre. Emily a décrit son monde avec une
honnêteté et une générosité rare. « Elle décrit les événements de ses
interminables voyages avec une vivacité photographique, rapportant ce
qu’elle a vécu avec exactitude et justesse. Comme pour tout auteur
d’une imagination fertile, elle laisse transparaître dans ses procédés
narratifs une forte influence de ceux avec lesquels elle a vécu mais
sans que son sens inné des affaires quotidiennes ne l’ait jamais
abandonné » . L’auteur ne s’est pas intéressée uniquement à la
simplicité ou à la précarité de la vie des maures, ou à leur foi, ou à
leurs comportements face à l’adversité, face à l’imprévu, mais elle
s’est également intéressée à son devenir, à son émancipation. Emily «
avait une vision des choses beaucoup plus large que celle du corps
diplomatique accrédité à Tanger, ce qui n’est pas extraordinaire pour
ce dernier car par l’exercice de cette profession, qu’on l’appelle
vocation ou divertissement, les yeux des hommes deviennent comme ceux
du poisson né au fond d’une rivière : ils sont percutants et ont
l’apparence parfaitement agréable mais ne sont pas destinés à être
utilisés ».
Enfin, force est de constater que ce livre est traversé par un arc
en ciel de sympathie qui lui donne un charme particulier, qui le
distingue de ce qui s’écrit généralement sur la vie des maures. Les
connaissances de l’auteur en la matière semblent très étendues. A
cheval sur deux cultures, profitant des possibilités que lui offrait sa
position sociale, elle a écrit le livre qu’elle a voulu écrire, celui
du récit « à la fois du pire et du meilleur de cette étrange vie
qu’elle a vécue au cours de ces trente dernières années ».
Nous ne saurions laisser sans réponse une question que certains,
parmi vous, se poseraient au terme de la lecture de ce livre. Emily a
t-elle véritablement écrit comme nous l’avons dit plus haut l’Histoire
de sa vie ou s’agit-il en fait de l’Histoire d’un couple, celle d’une
idylle, celle d’un amour en prise avec l’humeur des vagues ? Emily n’a
t-elle pas écrit plutôt l’Histoire de son époux, le Grand Chérif
d’Ouezzane, cet homme qui a marqué son époque, né à Ouezzane en 1834,
chef de la confrérie de 1850 à sa mort à Tanger le 28 Septembre 1892,
Serviteur de l’Empire du Maroc, ayant contribué directement à la
pacification de ce dernier sous le règne de Sidi Mohamed ben
Abderrahman et surtout sous celui de Moulay Hassan Ier, décoré de la
Cruz d’Isabelle la Catolica, de la Grande Croix de la Légion d’Honneur
et de la Grande Croix du Ouissam Al Iftikhar du Bey de Tunisie ?
Nous croyons, en effet, que à travers ce livre, Emily a voulu rendre
un hommage particulier à son époux, lui rendre aussi justice face à
l’ingratitude de l’Histoire et des hommes. Emily aura ainsi réconcilié
son mari avec l’Histoire. En évoquant sa mémoire, son rôle dans un
Maroc assez particulier, dans un Maroc balancé entre les convoitises
des puissances de l’époque et le projet de l’Empereur d’en faire un
pays développé, en proie à la «Siba », au bord de l’abîme, menacé de
tous les dangers, Emily relate dans son livre le patriotisme de son
mari, les sacrifices consentis au nom de l’Islam et de la Patrie, elle
évoque les succès de certaines missions, l’échec de quelques unes
d’entre elles, elle parle des rapports de son mari avec la Cour, elle
fait allusion aux traîtres et aux mauvais conseillers qui semaient le
doute chez le Sultan et le Grand Chérif, ceux-là même qui fomentaient
des complots réels ou imaginaires. Emily expliquera pourquoi son mari
avait choisi la protection française, elle relatera des faits et leurs
conséquences sur le devenir du Maroc, sur la santé de son époux ainsi
que ceux qui auront des répercussions directes sur le devenir de la
zaouia de Ouezzane ou sur les relations franco- marocaines. Emily,
intelligente, n’arrêtera pas la narration à la date de la mort de son
mari. Les chapitres qui suivront celle-ci ont valeur de réplique aux
détracteurs de la zaouia de Ouezzane et en particulier à ceux qui
cherchaient à nuire à la réputation des descendants de Sidi hadj
Abdeslam. Emily évoquera, pour ce faire, les rapports toujours aussi
étroits entre la Cour et le Trône du Maroc et ces derniers, elle citera
d’ailleurs le rôle joué par ses fils Moulay Ali et Moulay Ahmed dans la
libération de certains otages occidentaux qui ont été faits prisonniers
par Raissouli, le fameux chef rebelle, dans la région de Tanger, elle a
aussi démontré la solidité des liens entre les descendants du Grand
Chérif, la continuité de la puissance de la zaouia malgré les coups
tordus de certains, elle décrira avec moult détails Dar Dmana après la
mort du Grand Chérif, un sanctuaire hospitalier, un lieu de rencontre
des nécessiteux, un temple du dialogue et d’ouverture, tantôt visité
par les petites gens du peuple, tantôt par les grands princes et
princesses d’Europe, les aristocrates et les diplomates du monde. Emily
avait décidé de prendre en main l’avenir d’une Maison que beaucoup
enviaient, que beaucoup ont cherché à détruire en vain, et qui
aujourd’hui, bien qu’elle n’ait guère le prestige qu’elle avait du
temps de Sidi Hadj Abdeslam, le huitième Chérif Barrakka, ne continue
pas moins à jouer pleinement son rôle social et spirituel, délaissant
son rôle politique aux partis politiques qui se sont créés entre temps.
Emily le dit si bien « Sidi Hadj Abdeslam a été le dernier des grands
chefs de la confrérie. Jamais le prestige de ce dernier ne sera égalé
». Ni hagiographie, ni chronique, ni biographie, ni autobiographie, ce
livre est avant tout une approche originale d’un héros historique, où
s’entremêlent le romanesque, le politique, le religieux, l’intime et le
public, l’histoire d’une famille, l’histoire individuelle et l’histoire
de tout un peuple, celle de tous.
Emily et Sidi Hadj Abdeslam ont eu deux enfants : Moulay Ali, né en
1874 et Moulay Ahmed né en 1876. Selon les clauses du contrat de
mariage, «les enfants qui naîtront de ce mariage suivront la religion
de leur père » et « si de ce mariage naissent des enfants, le chérif
s’engage à les instruire ». Une autre victoire, sinon la plus belle
victoire qu’Emily eut à savourer. En effet, réussir l’éducation de ses
enfants a été pour cette dernière une source légitime de fierté et de
bonheur. Elle ne manquera pas dans son livre d’évoquer les témoignages
de quelques amis : « Et plus d’une fois Monsieur de Monbel me félicita
d’avoir un fils à la conduite si exemplaire, en ajoutant une fois au
commentaire la remarque : « si j’avais eu des fils, j’aurai voulu
qu’ils prennent les vôtres comme modèle de ce que devrait être un jeune
homme. Je vous félicite pour vos méthodes d’éducation ». Et confuse,
elle tente de se justifier, d’expliquer sa méthode, de cacher son
émotion : « Je pense, dit-elle, que l’on m’a attribué plus que je ne
mérite. Le sens aigu du bien et du mal de mes fils depuis leur enfance
ne m’a pas demandé de grands efforts; je n’avais pas de méthode. Nous
avons toujours été les plus grands amis, rien ne m’a été caché, j’étais
toujours consultée à tous les propos, et je le suis encore à ce jour.
Bien que mes fils soient des hommes mariés avec des familles, mes
souhaits sont presque immanquablement pris en considération. Leur père
n’a jamais même suggéré ses souhaits en ce qui les concernait depuis le
jour de leur naissance jusqu’au jour de sa mort ». Au moment où le
Grand Chérif semblait être investi d’une mission politique et
religieuse, Emily avait assumé quant à elle celle de l’éducation et de
l’action sociale. L’un et l’autre, chacun dans son domaine, avaient
contribué au bonheur des maures, le Chérif par le biais de son génie et
de sa baraka, Emily grâce à sa volonté et à l’étendue de ses
connaissances. Leur amour a réalisé l’union du spirituel et du temporel
au service d’une cause commune, celle de l’avenir du Maroc : « Je n’ai
pas un seul regret, écrit-elle dans les dernières lignes de son livre,
et j’espère que mes quarante années de vie parmi les maures auront une
influence salutaire sur le futur.» Pleinement satisfaite de son action
? Le combat pour la justice sociale n’a pas de fin : « Sir Arthur et
Lady Nocolson m’invitèrent aimablement à dîner le jour suivant à la
légation anglaise. Après dîner, j’eus une conversation mémorable sur
les ressources des femmes maures dans les moments de maladie.
J’expliquai à Son Altesse les méthodes extrêmement primitives en vogue
dans la population musulmane, comment de nombreuses vies étaient
perdues par manque d’un peu d’aide professionnelle au début de
nombreuses maladies. Et quant à soigner le malade, l’ignorance des
choses les plus dérisoires était déplorable. Je fis remarquer que ce
qui est vraiment nécessaire c’est un hôpital non sectaire, comprenant
une section maternité, avec en annexe un dispensaire général, qui doit
être dirigé par une femme médecin et une équipe féminine ; cela serait
vraiment une bénédiction pour ce pays. Je souhaite pouvoir trouver le
moyen d’en faire un, bien que cela soit difficile, malgré les promesses
que j’ai eu d’une aide financière importante américaine .» Nous ne
commenterons ni les multiples actions de la Charifa d’Ouezzane, ni sur
le rôle joué par le grand Chérif dans la vie d’Emily, ni sur celui
d’Emily dans la vie de Sidi hadj Abdeslam. Nous n’interviendrons pas
non plus dans le grand débat sur le rôle et la dimension politique du
Grand Chérif. Nous n’avons nullement la prétention de réécrire
l’Histoire, notre seule et unique ambition est de proposer un texte
agréable, un document intéressant, un récit de vie à vocation
pédagogique, un guide culturel précieux, un témoignage rare sur la vie
à l’intérieur d’une zaouia marocaine écrit par une anglaise,
protestante à son arrivée au Maroc, et devenue Charifa d’Ouezzane, par
le nom, par l’action et par conviction.
La décision de publier ce livre a été dictée par des considérations
à la fois subjectives et objectives. Tout d’abord, étant moi-même
arrière petit-fils d’Emily Keene, il était de mon devoir de connaître
et de faire connaître ce livre intéressant publié en 1911. La famille
réclamait soit une réédition, soit une traduction du livre. La
Fondation My Abdellah Chérif des Etudes Scientifiques , la Commission
Chargée de la Protection du Patrimoine Culturel des Chorfas d’Ouezzane
de Tanger ou enfin le Gremenord pouvaient se charger de la traduction
et de la publication du livre. Entre temps, des collègues du
Département d’anglais des facultés des Lettres et des Sciences Humaines
de Tétouan et de Oujda avaient commencé à s’intéresser au projet dans
le cadre des études sur les Ecrits anglais au Maroc. Mon ami et Doyen,
le Professeur Mohamed Laâmiri m’avait fait part de son souhait de
publier la traduction de cet ouvrage. Les étudiants du professeur Ahmed
Mars ont quant à eux déjà commis une traduction en arabe du livre
d’Emily. De nombreux sujets de mémoires de licence portaient également
sur la traduction du texte de cette dernière. Madame Karine Joseph
avait aussi terminé la traduction en français du livre d’Emily. Mon
travail était fort avancé, pourtant j’hésitais encore sur l’opportunité
d’un tel projet : est-ce le moment approprié ? Comment allait-il être
accueilli par les lecteurs ? La référence à cette période de l’Histoire
n’allait-elle pas soulever des interrogations, susciter des réactions,
dévier le projet de son objectif initial à savoir donner à lire aux
jeunes marocains un document intéressant susceptible de les informer
sur une période de l’Histoire de leur pays ? Devrai-je limiter mon
lectorat aux seuls membres de ma famille ? Suis-je le mieux placé pour
entreprendre la réalisation d’un tel projet ? Une traduction en arabe
n’était-elle pas préférable à la française ?
Déchiré entre le plaisir de la recherche et la souffrance de
l’attente, je décidai alors de sonder le public, d’interroger les
spécialistes et de susciter la réaction des autres, de ces jeunes, de
ces intellectuels, de ces tangérois de cœur, de ces marocains assoiffés
d’Histoire. Quelques conférences par ci par là et quelques
communications lors de rencontres scientifiques ont suffit par me
convaincre de l’urgence de la réalisation du projet. Ce livre étant
attendu, il fallait le publier, c’est un choix mais aussi une urgence.
Cependant, afin de garantir l’objectivité scientifique, le travail
exigeait le concours d’un chercheur motivé tout d’abord, compétent et
intègre ensuite, doté d’une honnêteté intellectuelle à toute épreuve et
enfin maîtrisant parfaitement les nuances de la langue anglaise. Ce
dernier, en fait, devait atténuer mon ardeur, contrôler ma passion,
surveiller mes dérapages, donner à la traduction et à l’analyse (le
plus important, en fait), cette crédibilité dont elles pouvaient avoir
besoin si j’avais entrepris seul le travail. Le Professeur
Mohammed-Saâd Zemmouri était tout indiqué pour m’accompagner dans cette
passionnante aventure. Je n’ai pas eu à le convaincre puisqu’il saisit
rapidement le sens du message : célébrer une amitié de trente ans par
la publication d’un livre où l’on retrouverait nos sensations, nos
émotions, notre fierté d’appartenir à une culture millénaire
arabo-musulmane, notre volonté de participer à l’écriture en général, à
l’écriture de notre Histoire, en particulier.
Si ce livre voit le jour, s’il plaît au lecteur, s’il suscite en lui
le plaisir de connaître davantage ce merveilleux peuple marocain, sa
culture et son Histoire, s’il parvient à encourager les efforts des
chercheurs, des historiens, des producteurs de mémoires, de tous ceux
qui peuvent apporter une contribution à l’écriture de l’Histoire du
Maroc, s’il parvient à satisfaire la curiosité de nos jeunes étudiants
et chercheurs, ce livre n’aura pas été inutile. Nul n’ignore les
difficultés de la traduction, de l’analyse des sources, du choix des
mots et des interprétations. Nous sommes conscients du fait que ce
travail de longue haleine aurait pu être meilleur, mais aucun travail
scientifique, à notre connaissance, ne peut aspirer à la perfection.
Au moment même où je rédigeais cette préface, l’on me fit connaître
le sujet de dissertation posé aux étudiants de notre UFR à l’examen de
sortie : « Dans la Préface de son Voyage en Orient (1835), Alphonse de
Lamartine a écrit : « De tous les livres à faire, le plus difficile, à
mon avis, c’est une traduction. Car voyager c’est traduire, c’est
traduire à l’œil, à la pensée, à l’âme du lecteur, les lieux, les
couleurs, les impressions, les sentiments que la nature ou les
monuments humains donnent au voyageur. Il faut à la fois savoir
regarder, sentir et exprimer ». Je crois que Lamartine, à sa manière,
rend aussi un autre hommage, est l’un des plus significatifs, à la
Charifa d’Ouezzane, à Emily Keene l’écrivain.
Emily Keene est morte le 11 Décembre 1941 dans son domicile du
Marshan à Tanger. Elle repose en paix dans le cimetière familial, à
deux pas de sa résidence. Sa tombe blanche tournée vers la Mecque,
domine celle de ses enfants et petits-enfants. Le Chergui lui apporte
régulièrement les nouvelles de cette ville qu’elle a tant aimée, de ce
peuple qu’elle a tant chéri. Son époux, le Grand Chérif repose quant à
lui, dans son mausolée de Haoumat Bni Idder, au centre de la médina de
Tanger. A tous nos lecteurs, marocains et étrangers, qui liront la
traduction de ce livre paru, comme par hasard, la veille du Protectorat
français sur le Maroc, nous souhaitons que ce dernier devienne pour
eux, l’une des sources les plus utiles pour la compréhension d’une
époque décisive de l’histoire du Maroc et de ses rapports avec
l’Europe. Elle aurait été si heureuse de voir ce que Tanger est devenue
ce que les « Maures » sont devenus : une ville fermement tournée vers
l’avenir et prenons son destin fabuleux en main et des Marocains libres
et fiers, attachés à leurs traditions et résolument intégrés dans la
modernité, soucieux de leur devenir mais combien attachés à leur
Histoire. Que tous ceux qui sont partis avec l’amour pour ce pays dans
leur cœur reposent en paix ! Que tous ceux qui sont encore vivants et
qui ont hérité une part de cet amour, suivent fidèlement la voie de
leur conscience et de leur cœur ! Le Maroc mérite tous les sacrifices !
Un livre à lire, mieux, à relire !
Dr Sidi Mohamed EL YAMLAHI OUAZZANI
Tanger le 13 février 2009

lien du livre ‘ »My life storie »

source:dardmana
jaziri
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